Page:Voyage à travers l’Impossible.djvu/31

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soulève (se sentant soulevé par la valve supérieure) Hein !… qu’est-ce qui se passe donc sous moi ? Je ne me trompe pas… ça se soulève réellement… ça remue… ça se soulève tout-à-fait… (tremblant) Ah ! mon dieu ! qu’est-ce que c’est que ça ? (il appuie, l’huître se referme) Il y a une bête là-dedans… ça se soulève… ça se soulève encore…

Valdemar (dans l’huître un peu entrouverte) : Qui donc appuie sur ma coquille ? Eh ! là-haut !

Tartelet (tremblant) : Ça parle maintenant… ça parle !…

Valdemar (soulevant encore la coquille et passant la tête) : Tartelet !…

Tartelet : Ça sait mon nom… C’est une huître de ma connaissance.

Valdemar : Mais c’est moi, M. Tartelet.

Tartelet : Valdemar !


Scène III

Tartelet, Valdemar.

Valdemar (dans l’huître et à genoux) : Présent, M. Tartelet.

Tartelet : C’était vous…

Valdemar : Moi-même.

Tartelet : Dans une huître ?

Valdemar : Mais, oui, je ne m’y trouvais pas mal… j’étais là comme chez moi ! Ah ! que je suis heureux de vous revoir ! Ça va bien, M. Tartelet ?

Tartelet : Parfaitement, parfaitement.

Valdemar : Et monsieur Georges ? Et mademoiselle Éva ? Et le docteur Ox ?

Tartelet : J’espère que nous ne tarderons pas à les revoir.

Valdemar : Allons, tant mieux ! mais j’aimerais mieux les revoir en pleine terre, sur le plancher des veaux comme on dit à Copenhague.

Tartelet : Ah ! à Copenhague, c’est le plancher…

Valdemar : Des veaux, oui, M. Tartelet.

Tartelet : Chez nous, c’est le plancher de mesdames leurs mères… mais j’y songe… que faisiez-vous donc dans ce mollusque ?

Valdemar : Je m’y étais caché… à cause d’un crabe.

Tartelet : D’un crabe ?

Valdemar : D’un requin.

Tartelet : D’un requin ?

Valdemar : Et d’un énorme poulpe…

Tartelet (gesticulant) : Un poulpe ?… Ah ! oui, une pieuvre.

Valdemar : Ces trois animaux s’étaient mis à ma poursuite dans des intentions dont je soupçonne la nature.

Tartelet : Quelles intentions, Valdemar !

Valdemar : Voyez-vous, Tartelet, sur terre les hommes mangent du poisson, et je crois bien qu’au fond de la mer, les poissons mangent de l’homme.

Tartelet : Vous m’inquiétez, Valdemar.

Valdemar : Ah ! j’ai eu une fière peur… allez ! et je voudrais bien m’en aller d’ici et remonter à la surface.

Tartelet : Nous y remonterons mais il faut d’abord retrouver nos compagnons de voyage.

Valdemar : Ah ! si l’ingrate Babichok n’avait pas épousé le traître Finderup… je serais à Copenhague maintenant… Je serais marié… installé dans ma maison… Que dis-je ? Dans mon palais… et j’y ferais mes six repas par jour.

Tartelet : Six repas ?

Valdemar : Dame ! j’en faisais trois quand j’étais pauvre, c’est bien le moins que j’en fasse six ou huit à présent que je suis riche.

Tartelet : C’est juste.

Valdemar : Mes moyens me le permettent. (Le tentacule du poulpe apparaît au-dessus du rocher.)

Tartelet : Oui, au fait… et si votre estomac vous le permet aussi.

(Le tentacule se balance au-dessus de la tête de Valdemar.)

Valdemar : Mon estomac… Ah ! je crois bien qu’il le permet… hein !… Qu’est-ce que je sens donc là ? (Le tentacule s’est enroulé autour de sa taille.) Ah ! à moi, Tartelet, à moi !… (Le tentacule l’entraîne derrière le rocher.) Tartelet ! Tartelet !

Tartelet : Ah ! Ciel ! le malheureux !

Valdemar (reparaît enlevé et balancé par le tentacule) : À l’aide !… Au secours !… Il m’étouffe… au secours !

Tartelet : Que faire ?… au secours ! au secours !

(Tartelet a reculé d’abord, pris d’une épouvante effroyable ; puis il se précipite vers le poulpe afin de lui arracher Valdemar, mais un autre tentacule le renverse et il ne peut faire un mouvement.)


Scène IV

Les mêmes, Ox, Georges, Volsius, Éva.

(Ils arrivent par le fond. Volsius et Georges se précipitent sur le monstre… Éva épouvantée s’est jetée du côté de Tartelet qui s’est relevé et la soutient. Ox se joint à ses compagnons qui attaquent le poulpe à coups de poignards. À ce moment, plusieurs autres poulpes apparaissent et attaquent les personnages. Le combat devient général. Les poulpes lancent alors un liquide noirâtre qui obscurcit entièrement l’eau, et c’est à travers une sorte de brouillard épais que l’on distingue les combattants qui finissent par disparaître tout à fait).