Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/114

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d’autant plus le champ libre que je suis entièrement sans désirs.

Quelle forme prendront nos relations personnelles, les relations entre toi et moi ? Pour cela, ma chérie, il faudra nous fier à la Destinée. C’est la seule chose qui me fasse encore souffrir.

Car ici est le point sensible, l’aiguillon de la douleur, l’amertume envers autrui qui rendent pour nous impossible le divin bonheur d’être ensemble, sans que les autres y gagnent eux-mêmes quoi que ce soit ! Ici nous ne sommes pas libres, nous dépendons de ceux pour lesquels nous nous sacrifions et vers qui nous nous tournons maintenant avec la pensée du grand sacrifice dans l’âme, pour expérimenter sur eux tout d’abord l’effet de notre compassion. Tu élèveras tes enfants ; — que ma fervente bénédiction t’accompagne dans cette tâche ! Puisses-tu trouver la joie et la noble récompense de tes efforts en eux ! Je ne hausserai jamais mon regard vers toi qu’avec le plus profond contentement. — Nous nous reverrons bien aussi ; mais, ce me semble, d’abord seulement comme en rêve, comme deux fantômes qui se rencontrent aux lieux où ils ont souffert, pour éprouver encore une fois la jouissance des regards échangés, des mains pressées, qui les enlevait au monde et leur gagnait le ciel. Si — étant donné ma paix profonde — j’atteignais un bel âge, peut-être le bonheur me serait-il accordé

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