Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/130

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dans les rues et devant les maisons, pour rendre heureux ceux qui lui faisaient l’aumône, par l’acceptation de celle-ci. Qu’aurait donc pensé le saint homme, qui avait renoncé à tout, s’il avait dû arracher l’aumône à un donateur peu empressé, par exemple pour apaiser sa faim, lui pour qui le jeûne était une pratique dévote ? Cela m’a procuré une satisfaction d’être tout de suite fixé sur cette tendance du « donner et recevoir », ayant, il y a quelque temps, à répondre à un ami, au lac de Zurich. Honteux, oui, criminel même serait, de vouloir obtenir quelque chose dans ce sens mauvais du véritable esprit du monde, cet esprit qui s’imaginerait me faire une concession, tandis que moi je croirais l’élever jusqu’à ma hauteur par la plus noble des intentions. Comme j’étais altier, là ; mais nullement amer ! Le mendiant bouddhiste s’était trompé de maison : et le jeûne lui devint une dévotion ! Où je croyais apporter le bonheur, on croyait devoir se sacrifier à moi. Reconnaître cette erreur, cela ne suffisait-il point ? Et quand je devrais donner jusqu’à mon dernier souffle : tout ce qui vit en moi restera pur et divin, si aucun sacrifice du monde ne le grève. Cette conviction, cette volonté, voilà précisément ce qui nous rend si grands, ce qui nous donne la force immense de ne plus ressentir même la douleur et — de nous faire du jeûne une dévotion…

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