Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/134

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car il m’était impossible de bouger — m’a toutefois éclairé d’une façon satisfaisante par les observations que j’ai pu faire. Karl est parti depuis bientôt trois semaines : je n’avais donc pour ainsi dire personne avec qui causer, à part mon médecin et les domestiques. Chose étrange, je n’éprouvais pas le moindre besoin de société. Au contraire, lors de la visite, à laquelle je ne pouvais point échapper, que me fit un prince russe, joignant à une grande intelligence et à un sens musical très développé un cœur vraiment bon, j’éprouvai au fond de l’âme un véritable sentiment de délivrance, lorsqu’il s’en alla. Il me semble toujours que c’est un effort inutile, absolument sans résultat, que de m’entretenir avec quelqu’un. Par contre, avec les serviteurs j’ai du plaisir à converser. Ici je retrouve encore l’homme naïf, avec ses défauts et ses qualités. Aussi on m’a bien soigné, même avec dévouement. J’en suis très reconnaissant. Kurwenal m’est plus cher que Melot. Avec cela, pour ainsi dire, aucun bruit du dehors qui parvint jusqu’à moi : le facteur s’était rendu presque invisible. Lorsque j’arrivai, en gondole, aujourd’hui, à la Piazza, je trouvai toute une brillante cohue, allant et venant. J’ai choisi, pour prendre mes repas au restaurant, une heure, à laquelle je suis certain d’être tout à fait seul. Ainsi je me glisse, perdu comme un étranger dans la foule, jusqu’à ma gondole, pour m’en revenir

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