Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/141

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sens sont émoussés ; l’œil grand ouvert ne voit plus ; l’oreille, qui la voudrait entendre, ne perçoit plus la voix du présent. Où nous sommes, nous ne nous voyons pas ; seulement où nous ne sommes point, notre regard se fixe. Ainsi le présent n’existe pas ; le futur est néant. — Est-ce que mon œuvre mérite vraiment que je me garde pour elle ? Mais toi ? Tes enfants ? — Vivons ! —

Et puis, en remarquant sur ton visage les traces de si grandes souffrances, en portant à mes lèvres ta main amaigrie, un frisson me secoua profondément, une voix me cria que j’avais un beau devoir à remplir. La force merveilleuse de notre amour a suffi jusqu’ici ; elle m’a permis d’atteindre à la possibilité de ce retour ; elle m’a appris à oublier le présent comme dans un rêve, à m’approcher de toi, sans qu’il paraisse me toucher ; elle a éteint en moi le feu des souffrances et des amertumes. Et je pourrai désormais baiser le seuil, qui m’a permis de revenir jusqu’à toi ! J’ai donc confiance dans cette force ; elle m’apprendra encore à te revoir clairement, à me montrer clairement moi-même, à travers le voile d’expiation que nous avons jeté sur nous !

Ô sainte bénie ! aie confiance en moi !

J’en aurai la force ! —

— 119 —