Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/146

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davantage combien je suis mal compris, perpétuellement finement et grossièrement, et une voix intérieure, l’expression de mon être le plus vrai, me dit qu’il serait mieux de détruire sans pitié toute illusion à cet endroit, aussi bien pour moi-même que pour mes amis.

Le monde entier ne connaît que « le pratique » ; en moi, cependant, l’idéal acquiert une telle réalité, que je n’en ai point d’autre, et ne puis supporter qu’on y touche. Ainsi, dans ma quarante-sixième année d’existence, il me faut constater que mon unique consolation ne peut être que la solitude, que je dois demeurer seul. C’est bien cela, et je ne puis me cacher que ce n’est point là la considération qui est à même de refouler ma tendresse ; mais, si je devais agir en sens contraire de cette vérité, je serais sûr de me perdre entièrement : l’amertume et l’indignation submergeraient tout. Il faut donc patienter, me taire !

Si ma fantaisie se met finalement à l’œuvre, alors tout va bien, et les travaux de l’intelligence me tiennent lieu du reste, aussi longtemps qu’ils se poursuivent tranquillement. Mais, après tout, l’intelligence n’a d’autre nourriture que le cœur : et comme tout est triste, aride autour de moi !

Tout m’est étranger, tout est froid ! Aucun calmant, nul regard, nulle voix qui charme. J’ai fait serment de ne pas même me procurer de chien : il en sera ainsi, je n’aurai point près

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