Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/151

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

suite au traghetto, qui me reconduit, par la mélancolie du Grand Canal nocturne, à mon palais, où m’attend ma lampe allumée à huit heures du soir.

Le merveilleux contraste entre la silencieuse et mélancolique gravité de mon logis et de sa situation, et l’éternellement joyeux éclat de la place et de tout ce qui fait corps avec elle, la foule qui me laisse si agréablement indifférent, les gondoliers toujours à se quereller et à vociférer, enfin la silencieuse traversée dans le crépuscule du soir et dans la nuit tombante — ne manque presque jamais de me procurer une impression de bien-être, puis d’apaisement. Et c’est à quoi je me suis encore borné jusqu’ici ; je n’ai pas encore éprouvé le besoin d’aller voir les trésors d’art, je me réserve cela pour l’hiver : actuellement je suis heureux de pouvoir savourer avec une égale satisfaction l’agréable va-et-vient de ma journée. Je ne parle à personne, si ce n’est Ritter, qui est suffisamment taciturne pour ne point m’importuner : (il est seul aussi, sa femme est restée à la maison). Chaque soir, il me quitte au traghetto, et je reçois sa visite très rarement. Il est impossible de trouver aucun endroit, qui réponde mieux à mes besoins actuels. Si je m’étais trouvé seul dans une petite ville insignifiante, ne présentant aucun intérêt, je crois que finalement un besoin presque animal de société m’aurait forcé de saisir l’une ou l’autre occasion de

— 129 —