Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/177

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Si j’étais réellement attaché à la vie, je pourrais me croire destiné à une très longue existence en raison de leur nombre. Mais cela ne s’accomplira pas nécessairement. Humboldt raconte que Kant avait encore une masse d’idées à développer, quand la mort, à un âge fort avancé, vint naturellement l’en empêcher.

Déjà contre l’achèvement de Tristan je remarque cette fois-ci une résistance absolument fataliste du Destin ; cela ne m’excitera pas cependant à poursuivre mon travail avec plus de hâte. Au contraire, j’œuvre, comme si de toute ma vie je ne voulais plus m’occuper d’autre chose. Mais Tristan en devient d’autant plus beau que tout ce que j’ai fait jusqu’ici ; la plus petite phrase a pour moi l’importance de tout un acte, tellement j’y apporte mes soins. Et, puisque je parle de Tristan, il me faut vous dire que je suis heureux d’avoir reçu à temps un premier exemplaire du poëme tout nouvellement imprimé, pour vous l’envoyer à titre de présent.

Comme je me trouvais toujours très mal à l’aise, sans être à proprement parler malade, je sentis le besoin de faire une excursion dans le pays. Je voulais aller à Vicence ; le train partant filait cependant vers une autre direction, et comme cela je descendis à Trévise. Après une nuit pitoyable, je me disposais, vu le beau soleil, à une bonne promenade à pied, d’environ trois lieues allemandes. Je passai la porte de

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