Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/224

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

une passionnée aventure d’amour, il doit trouver son unique salut dans la consécration du sang qui coula un jour de la blessure du Sauveur, lorsque celui-ci se mourait sur la Croix, renonçant au monde, délivrant le monde, souffrant pour le monde ! Le sang pour le sang, la blessure pour la blessure — mais ici et là, quel abîme entre ce sang, cette blessure ! Tout extasié, tout en adoration devant ce merveilleux calice, qui rougeoie d’un éclat suprême et doux, Amfortas sent la vie se renouveler par lui, et que la mort ne peut l’approcher ! Il vit, il vit de nouveau et, plus terrible que jamais, la blessure fatale lui cuit, sa blessure ! L’adoration même devient une douleur ! Où est la fin ? Où est la délivrance ? Les souffrances de l’humanité pour toute la durée de l’éternité ! Est-ce qu’il voudrait se détourner tout à fait du Graal dans la folie du désespoir, fermer l’œil pour lui ? Il le voudrait, pour pouvoir mourir ! Mais — lui-même, il fut désigné pour garder le Graal ; et ce n’est pas une puissance extérieure, aveugle, qui l’a désigné, — non, mais il le fut, parce qu’il était si digne, parce que nul n’avait reconnu aussi profondément que lui la force miraculeuse du Graal, parce que nul autre comme lui n’avait l’âme toute entière continuellement reprise du désir de contempler le Graal, qui l’anéantit d’admiration, qui lui donne le divin

— 202 —