Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/82

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tendre et prolongée du violon, que j’aime tant et à laquelle je t’ai comparée un jour : tu peux maintenant t’imaginer ce que je ressens au clair de lune sur la mer ! —

18 Septembre.

Il y a un an aujourd’hui, je terminais le poème de Tristan et je t’apportais le dernier acte. Tu m’accompagnas jusqu’à la chaise devant le sofa, tu m’embrassas et me dis : « Maintenant je n’ai plus rien à souhaiter ! » —

Ce jour-là, à ce moment-là, je naquis vraiment. Ce qui avait précédé c’était le prologue de ma vie ; maintenant commençait l’épilogue. C’est seulement au cours de cet instant merveilleux que je vécus réellement. Tu sais comme j’en ai joui ! Non pas avec turbulence, emportement, enivrement ; mais avec solennité, profondément, me sentant réconforté, libre, le regard comme plongé dans l’éternité. — Du monde je m’étais, douloureusement, déjà, de plus en plus, détaché. Tout en moi aboutissait à la négation, à la défense. — Douloureux était même devenu mon travail d’artiste, car il y avait en moi le désir intense, l’inapaisé désir de trouver pour cette négation et cette défense ce qui me confirme, ce qui m’est propre, ce qui s’unit à moi. Ce moment-là me l’octroyait avec une si indubitable certitude que j’eus la sensation d’un silence, d’un arrêt solennel. Une femme affectu-

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