Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t2, 1905, trad. Khnopff.djvu/110

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rien attendre, ne rien espérer, souhaiter à peine. Connaissant parfaitement les caprices de ma destinée, m’accommoder silencieusement à ma mission. Patience ! Même à l’égard du temps qu’il fait. Et ce temps m’enseigne : cela est, on ne peut le changer ; il faut s’y habituer ; de même, pour toutes les constellations morales qui nous entourent. S’emporter ne mène à rien : supporter, seulement !…

Parfois, cependant, la lumière jaillit au fond de l’âme : tout ce qui, du dehors, mal satisfait, s’y réfugie, se remet à vivre là plus chaudement, plus lumineusement. C’est bien la nuit de Tristan ! « Dès que le soleil s’est caché dans notre sein, luisent les riantes étoiles de la félicité… »[1] Tout ce que je pourrais vous dire de mon existence me semble si insignifiant ! C’est aussi le plus difficile à comprendre. Une vie comme la mienne doit toujours tromper le spectateur : il ne voit que les faits et gestes qu’il tient pour miens, tandis qu’ils me sont au fond tout à fait étrangers ; qui donc s’aperçoit du dégoût que souvent ils m’inspirent ? Tout cela ne sera compris que le jour où la somme totale sera lisible : alors il faudra bien reconnaître que cette œuvre extraordinaire ne pouvait être accomplie que de cette façon, et l’on s’instruira, quitte à ne pas tirer parti de la leçon

  1. Tristan, acte II.