Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t2, 1905, trad. Khnopff.djvu/195

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tation ; j’osais à peine envisager mon développement futur comme artiste absolument original. À l’époque où je vous fis cette confidence, à l’époque de la passion miraculeuse, m’était apparue soudain la possibilité de la perte d’un bien, dont la possession éventuelle m’avait toujours semblé absolument intangible. Alors je sentis que le temps viendrait, où l’art revêtirait pour moi un sens tout nouveau, merveilleux, lorsque plus aucune espérance ne serait capable d’enlacer mon cœur.

Ainsi l’ancienne légende du Messie a acquis finalement sa véritable signification pour moi. On l’attendait, le Sauveur, le Libérateur de la race de David, le roi d’Israël. Tout arriva, en effet, selon l’attente. On sema des palmes sur sa route ; mais quel déconcertant coup de théâtre, lorsqu’il dit : « Mon royaume n’est point de ce monde ! »[1] De la sorte tous les peuples attendent leur Messie, qui doit combler les désirs de la vie. Il arrive et dit : « Renoncez au désir même ! » Voilà la dernière solution de la grande énigme du désir, — que votre ami Hutten, par exemple, n’a pas comprise.

Je souhaite seulement pouvoir encore travailler : mon désir ne s’étend plus même aux représentations éventuelles de mes œuvres et j’en accepte la nécessité comme une calamité inévitable. À Vienne, j’ai été invité définitivement pour l’automne à la représentation de

  1. Voir Glasenapp, II, 2, 376 et suiv.