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104.

23 Mai 60, Paris

Au lit, ce matin, j’ouvris votre dernière lettre de Rome et regardai ce qu’elle contenait. Maurice revint m’annoncer mon bain : il me trouva baigné de larmes et se retira en silence…

Mon enfant, les dieux m’ont honoré, hier, de la plus belle journée de cette année. Jamais, encore il n’avait fait si clair et serein. Pour la première fois, je fus salué, lors de ma promenade matinale, par un ciel entièrement pur et un vent d’est des plus réconfortants : tout était vert et brillant. Sans la moindre raison de me réjouir de ma situation personnelle, vivant au jour le jour dans l’incertitude la plus vacillante, forcé comme un assiégé de me défendre quotidiennement contre des attaques continuelles à mon repos, j’éprouvais pourtant un bien-être, une sérénité. Les dieux m’aimaient : cela me faisait sourire. Rien ne venait à ma rencontre, rien ne venait me saluer que le ciel et le bon vent, qui m’avaient manqué si longtemps. Mais cela me suffisait, et de belles images se rangeaient devant mon âme. Sûrement il devait faire beau partout aujourd’hui et, si je ne recevais point de saluts, bien des gens penseraient à moi de façon bienveillante et se diraient : « Les dieux l’aiment, pourtant ! » Comme je suis encore enfant, comme je me laisse facilement flatter ! Le ciel, la brise, le soleil et la verdure de Mai vous épargnent cette fois le soin