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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

gloire d’avoir révélé au public allemand le sublime mérite de Fïdelio, et je vis ce soir-là le parterre étourdi de Vienne fasciné et fanatisé par son merveilleux talent. Pour ma part, j’étais ravi au troisième ciel.

Je ne pus fermer l’œil de la nuit. C’en était trop de ce que je venais d’entendre et du bonheur que me réservait le lendemain, pour que mes sens se laissassent captiver par l’illusion décevante d’un rêve. Je demeurai donc éveillé, livré à une ardente extase et tâchant de préparer dignement mes idées à l’entrevue solennelle qui m’était promise. Enfin le jour parut. J’attendis avec anxiété l’heure la plus convenable pour me présenter, et quand elle sonna, je tressaillis jusqu’à la moelle des os, enivré du bonheur dont j’allais jouir après tant de traverses et de mécomptes.

Mais une horrible épreuve m’attendait encore. Je trouvai froidement accoudé contre la porte de la maison de Beethoven un homme, un démon, cet Anglais acharné. Le diabolique personnage avait semé l’or de la corruption, et l’aubergiste vendu tout le premier à mon implacable ennemi, l’aubergiste qui avait lu le billet non cacheté de Beethoven, avait tout révélé au gentleman. Une sueur froide m’inonda à sa vue. Tout mon enthousiasme, toute la poésie de mes rêves furent glacés, anéantis ; je retombai sous la griffe maudite de mon mauvais ange.

— Venez ! me dit-il dès qu’il m’aperçut, allons !