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UNE VISITE À BEETHOVEN

langage poétique. Enfin j’ai arrêté mon choix sur la belle hymne de Schiller : À la joie. Ce sont là assurément de nobles et beaux vers, et pourtant qu’ils sont loin d’exprimer tout ce que j’ai rêvé à ce sujet

À présent même, j’ai peine à maîtriser l’émotion de mon cœur en me rappelant ces confidences par lesquelles le grand artiste m’initiait dès lors à l’intelligence complète de sa dernière et prodigieuse symphonie, qu’il venait à peine de terminer. Je lui exprimai ma reconnaissance avec toute l’effusion que devait provoquer cette insigne faveur, et je lui témoignai combien j’étais transporté d’apprendre la prochaine apparition d’un nouvel ouvrage de son génie. Je sentais mes yeux mouillés de larmes, et je fus presque tenté de m’agenouiller devant lui. Beethoven parut comprendre ce qui se passait en moi, il fixa sur moi un regard mélangé de tristesse et d’ironie, et me dit : — Vous pourrez prendre ma défense lorsqu’il s’agira de mon nouvel ouvrage. Rappelez-vous alors cet entretien, car je serai sans doute accusé de folie et de déraison par mainte personne raisonnable. Vous voyez pourtant bien, mon cher monsieur R…, que je ne suis pas encore précisément atteint de démence, quoique j’aie subi assez de tribulations depuis longtemps pour en courir la chance. Le monde voudrait que je prisse pour règle les idées qu’il se forme du beau, et non les miennes ; mais il ne songe pas que dans mon