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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

de Léonore. Beethoven, qui n’eut jamais une véritable occasion de déployer l’élan dramatique de son génie sur le terrain du drame, tel qu’il le lui eût fallu, paraît avoir cherché à s’en dédommager en s’appropriant l’ouverture comme un domaine vacant qui lui appartenait par le droit du génie, et où il put développer sans entraves les inspirations pour lesquelles le drame lui mesurait l’espace d’une main avare. Ce fut comme avec humeur qu’il se détourna des petits intérêts de situation de l’intrigue dramatique, pour recomposer complètement, dans l’ouverture, le drame à sa manière. On ne peut admettre d’autre origine à son ouverture de Léonore. Bien loin de vouloir se réduire à une simple introduction musicale pour le drame, il anticipa, au contraire, sur le drame dans l’ouverture, et le développa par avance selon ses inspirations créatrices. Cette composition gigantesque ne peut plus s’appeler ouverture : c’est le drame lui-même à sa plus haute puissance.

Les ouvertures de Beethoven et de Cherubini furent les modèles de Weber, et quoiqu’il n’osât pas tendre à cette hauteur vertigineuse où s’était placé Beethoven dans l’ouverture de Léonore, il continua avec bonheur à imprimer à l’ouverture une allure dramatique qui, heureusement, ne se perdit jamais dans la peinture minutieuse d’accessoires sans valeur et dépourvus de portée musicale. Et même là où Weber se laissa entraîner