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HALÉVY ET LA « REINE DE CHYPRE »

haine, d’amour, de fanatisme, de délire ; il pourra vous mettre sous les yeux les actes extérieurs qui s’engendrent à la surface de ces profondeurs ; mais il ne pourra vous y faire descendre, les dévoiler à vos regards. C’est à la musique seule qu’il est réservé de révéler les éléments primitifs de cette merveilleuse nature, c’est dans son charme mystérieux que se manifeste à notre âme ce grand et ineffable mystère. Et le musicien qui exerce son art dans ce sens peut seul se vanter d’en posséder toutes les ressources. Parmi les maîtres les plus brillants et les plus vantés que cite l’histoire de l’art musical, il en est fort peu qui, sous ce rapport, seraient fondés à revendiquer la dignité de musicien. Parmi les compositeurs dont les noms circulent de bouche en bouche, combien n’en est-il pas qui ignoraient et qui ignoreront toujours que sous ces dehors séduisants, si splendides, que seuls il leur était donné d’apercevoir, se cachait une profondeur, une richesse immense comme la création ? Or, au petit nombre de véritables musiciens, dans ce sens, il faut placer Halévy.

Ainsi que nous l’avons dit, c’est dans la Juive qu’Halévy a révélé sa vocation pour la tragédie lyrique, lui essayant de caractériser sa musique, il importait de signaler d’abord les profondeurs : c’est son point de départ, c’est de là qu’il envisage l’art musical. Je ne parle point de cette passion sensible, passagère, échauffant le sang