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HALÉVY ET LA « REINE DE CHYPRE »

Auber comme le corrupteur du goût musical, on ne saurait nier que le style créé par lui, ainsi que nous l’avons exposé plus haut, ne paraisse avoir perdu nos jeunes compositeurs à tout jamais. Il semble qu’ils n’ont rien compris à sa manière, sinon les procédés mécaniques, et que c’est là tout ce qu’ils ont trouvé digne d’être imité. Quant à l’esprit, la grâce, la fraîcheur, qui vous enchantent dans les productions du maître, vous n’en trouvez pas l’ombre chez ses copistes.

Maintenant que nous savons à quoi nous en tenir sur les contemporains, ou les successeurs d'Auber, comme vous voudrez les appeler, et que nous avons constaté l’impuissance et la faiblesse qui les caractérisent, nous pourrions nous expliquer facilement pourquoi aucun d’eux n’a osé s’engager dans la route si glorieusement frayée par Halévy dans la Juive malgré tous les bruyants applaudissements qui ont salué cette œuvre capitale. Nous l’avons dit, ce qui forme le trait distinctif du talent d’Halévy, c’est l’intensité de la pensée, l’énergie concentrée ; or, ces qualités et la richesse exubérante des formes dans lesquelles elles se manifestent, et qui sont tout à la fois indépendantes et travaillées avec le plus grand soin, tout cela écrasait cette race de pygmées, auxquels la musique ne semble s’être révélée que sous la forme de la mesure à trois-huit, de couplets et de quadrilles. Si donc ils ne reconnurent point que c’était en se jetant hardiment