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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

dans cette nouvelle carrière qu’ils devaient chercher leur salut, nous en trouverons la raison dans la profonde démoralisation artistique dans laquelle ils sont tombés dès le premier jour où ils entrèrent dans la carrière des arts ; car avec un peu de verve, un peu d’essor dans l’âme, ils se seraient élancés sur les traces de l’auteur de la Juive.

Mais si Halévy n’a pas exercé une puissante action sur les artistes qui l’entourent, qu’il porte ses regards sur l’Allemagne. Les Allemands, qui abandonnent facilement et volontiers leurs scènes aux étrangers, s’étaient complus à apprécier jusque dans les plus minces détails la musique voluptueuse de Rossini ; puis ils se prirent d’enthousiasme aux ravissantes mélodies de la Muette de Portici et ils ne voulurent plus entendre sur la scène que la musique française, qui avait dès lors détrôné la musique italienne. Toutefois, il ne vint à l’idée d’aucun compositeur allemand de choisir un modèle parmi les Français ou les Italiens, d’écrire dans le goût d’Auber ou de Rossini. Dans leur loyauté exempte de préjugés, ils accueillirent ce qui leur venait du dehors, et en jouirent avec reconnaissance. Mais l’œuvre de l’étranger n’était appréciée que comme telle, et leur resta étrangère : elle n’eut point prise sur leur façon de penser, de sentir et de produire. La musique d’Auber, précisément parce qu’elle était fortement empreinte de l’esprit de nationa-