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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

Entre les mains de ces honnêtes et naïfs artistes qui n’ont point à se préoccuper de l’opinion d’un public prévenu, l’art rejette toute affectation et toute parure d’emprunt pour se montrer dans le pur et simple appareil de la vérité. Ce n’est plus seulement ici l’oreille qu’il faut satisfaire, il faut aussi faire la part de l’âme et du cœur. L’Allemand veut non seulement sentir, mais encore penser la musique, si je puis m’exprimer ainsi ; le plaisir de la sensation physique doit céder au besoin d’une satisfaction intellectuelle. Au-delà de l’impression extérieure résultant d’une combinaison musicale, l’Allemand veut en analyser le secret organique, et il recherche dans l’étude sérieuse du contrepoint la source de ces émotions si vives et si merveilleuses que lui font éprouver les œuvres des grands maîtres ; il se perfectionne ainsi dans la théorie, et devient lui-même pour ainsi dire aussi habile qu’eux en fait de critique et d’appréciation musicales.

Ce besoin de jouissances musicales se transmet de père en fils, et les moyens d’y répondre deviennent une partie essentielle de l’éducation. C’est dès l’enfance, et en même temps qu’ils suivent leurs études scolastiques, que les Allemands s’initient aux principes les plus abstraits et les plus profonds de la science musicale ; et aussitôt qu’ils sont en état d’exercer spontanément leur jugement et leur goût, la musique se trouve natu-