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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

à la dignité de l’art ? Dans le cas extrêmement rare où toutes les parties intégrantes d’un pareil ouvrage se trouvent par bonheur conformes et analogues au mérite de la musique elle-même, j’avoue qu’on jouit alors d’un perfectionnement dont la valeur intrinsèque et le charme séducteur n’ont pas besoin d’être relevés. Mais cela même ne saurait ravir au genre instrumental proprement dit le premier rang. Car là seulement le musicien n’est assujetti à aucun sacrifice, et peut réaliser les plus sublimes inspirations de sa science ; c’est le seul domaine où, indépendant de toute influence étrangère, le génie peut atteindre à l’idéal ; c’est là qu’appartient sans réserve au talent l’usage de toutes les ressources de l’art, sans excursion possible au dehors

Il n’est donc pas surprenant que l’Allemand, grave et méditatif, s’adonne par prédilection au genre instrumental ; car c’est celui qui répond le mieux à son penchant pour la rêverie, sans que son attention soit circonscrite sur une idée déterminée ; celui qui permet à son imagination de flotter au hasard dans la vague région des pressentiments, affranchie de tout lien matériel.

Pour être initié à la compréhension de ces chefs-d’œuvre spéciaux, il ne faut ni secours étrangers, ni scène resplendissante, ni chanteurs richement rétribués, ni aucun apparat théâtral ; un violon, un piano suffisent à leur manifestation magnifique et glorieuse ; et tous les Allemands sont passés