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« Nous n’avons plus, errants dans ces mornes ravins,
Maître ! comme autrefois, la candeur ni l’extase ;
Et nous n’entendons plus dans les buissons divins
L’hymne des anges blancs que votre gloire embrase.

« Mais qu’importent l’embûche et la nuit sous nos pas,
Si toujours dans la nuit un flambeau nous éclaire ?
Ah ! si l’amour nous reste et nous guide ici-bas,
Soyez béni ! Dieu fort ! Dieu bon ! Dieu tutélaire !

« Adam a la vigueur, et moi j’ai la beauté.
Un contraste à jamais nous lie et nous console ;
Ivres, lui de ma grâce et moi de sa fierté,
Pour nous chaque fardeau se change en auréole.

« Et maintenant, voici grandir auprès de nous
Deux êtres, notre espoir, notre orgueil, notre joie ;
Quand je les tiens tous deux groupés sur mes genoux,
Je sens dans ma poitrine un soleil qui rougeoie !

« Vivant encore en nous qui revivons en eux,
Encor pleins de mystère, ils sont la loi nouvelle.
Nés de nous, sous leurs doigts ils resserrent nos nœuds ;
Un autre amour en nous, aussi grand, se révèle.

« Leurs yeux, astres plus clairs que ceux du firmament,
Ont un étrange attrait ; et notre âme attirée,
Qui s’étonne et s’abîme en leur regard charmant,
Y cherche le secret d’une enfance ignorée.

« L’amour qui les créa sommeille en eux. Le Ciel
Peut gronder ; comme nous, dans le vent, sous l’orage,
Ils se tendront la main, et l’éclair d’Azraël
Ne pourra faire alors chanceler leur courage.

« Gloire et louange à toi, Seigneur ! A toi merci !
Le châtiment est doux, si malgré l’anathème
Le baiser de l’Eden se perpétue ici.
Frappe ! regarde croître une race qui t’aime ! »

III


Ainsi, le front baigné des parfums du matin,
Son beau sein rayonnant de chaleurs maternelles,
Eve, les yeux fixés sur Abel et Caïn,
Sentait l’infini bleu noyé dans ses prunelles.