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LES CERFS


Aux vapeurs du matin, sous les fauves ramures
Que le vent automnal emplit de longs murmures,
Les rivaux, les deux cerfs, luttent dans les huiliers.
Depuis l’heure du soir où leur fureur errante
Les entraîna tous deux vers la biche odorante,
Ils se frappent l’un l’autre à grands coups d’andouillers.

Suants, fumants, en feu, quand vint l’aube incertaine,
Tous deux sont allés boire ensemble a la fontaine,
Puis d’un choc plus terrible ils ont mêlé leurs bois.
Leurs bonds dans les taillis font le bruit de la grêle ;
Ils halètent, ils sont fourbus, leur jarret grêle
Flageole du frisson de leurs prochains abois.

Et cependant, tranquille et sa robe lustrée,
La biche au ventre clair, la bête désirée,
Attend ; ses jeunes dents mordent les arbrisseaux ;
Elle écoute passer les souffles et les raies ;
Et, tiède dans le vent, la fauve odeur des mâles
D’un prompt frémissement effleure ses naseaux.

Enfin, l’un des deux cerfs, celui que la nature
Arma trop faiblement pour la lutte future,
S’abat, le ventre ouvert, écumant et sanglant.
L’œil terne, il a léché sa mâchoire brisée,
Et la mort vient déjà, dans l’aube et la rosée,
Apaiser par degrés son poitrail pantelant.

Douce aux destins nouveaux, son âme végétale
Se disperse aisément dans la forêt natale ;
L’universelle vie accueille ses esprits :
Il redonne à la terre, aux vents aromatiques,
Aux chênes, aux sapins, ses nourriciers antiques,
Aux fontaines, aux fleurs, tout ce qu’il leur a pris.

Telle est la guerre au sein des forêts maternelles.
Qu’elle ne trouble point nos sereines prunelles :
Ce cerf vécut et meurt selon de bonnes lois,
Car son âme confuse et vaguement ravie
A dans les jours de paix goûté la douce vie ;
Son âme s’est complu, muette, au sein des bois.