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ne comprenant pas, le congédie. « Il dut, — écrit son pieux biographe, M. Paterne Berrichon, — par cette fin d’hiver et huit jours durant, à travers les rues, errer sans pain, ni feu, ni lieu… cela jusqu’à ce que, mourant littéralement de misère, il se résignât à sacrifier sa liberté et à reprendre à pied le chemin de Charleville.

« Pendant la Commune, il échoue pour la troisième fois à Paris et s’enrôle dans les Tirailleurs de la Révolution. Après la défaite, il regagne, non sans difficulté, les Ardennes. Son talent — ce talent inconscient, fait de hâtives notations, — est mûr déjà ; il écrit fiévreusement Le Bateau ivre. Après une correspondance engagée avec Verlaine, le voici de nouveau à Paris. » (Ad. Van Bever.)

Il y resta quelque temps, fut présenté à quelques poètes et provoqua une vive surprise parmi les Parnassiens par l’étrangeté de ses poèmes. Ses amis le présentèrent vers cette même époque à Victor Hugo, qui l’accueillit avec ces mots : « Shakespeare enfant. » Rimbaud se lia avec André Gill et Charles Cros, logea chez le poète de La Bonne Chanson, puis chez Théodore de Banville, puis, rue Racine, à l’hôtel, et enfin, grâce aux munificences de Verlaine, dans ses meubles, rue Campagne-Première.

En juillet 1872, il accompagna Verlaine à Londres, où il fréquenta Eugène Vermersch, et à Bruxelles, où il connut Georges Cavalier, dît Pipe-en-Bois. Dans cette ville, Rimbaud ayant témoigné l’intention de quitter « son compagnon de gloire et de misère », Verlaine lui tira deux coups de revolver qui lu blessèrent légèrement, et fut condamné pour ce fait à dix-huit mois de prison qu’il fit à Mons et qui lui inspirèrent Sagesse.

Expulsé de Belgique, Rimbaud fit une nouvelle apparition à Charleville, publia et détruisit en même temps une édition d’Une Saison en enfer, sorte d’autobiographie psychologique, passa encore à Paris, puis voyagea en Hollande, en Allemagne, en Autriche, en Italie, en Suisse, dans les îles de l’Archipel. « Tombé dans la misère, il fut rapatrié ; mais bientôt il repartit, commu engagé dans les troupes néerlandaises, se rendant à Sumatra et à Java. Il déserta à Java et vécut pendant un mois dans les forêts. Pour rentrer en Europe, il s’embarqua comme interprète sur un bateau anglais qui le rapatria. Il ne resta pas longtemps à Charleville et parcourut la Suède et la Norvège, dans la tournée du cirque Loisset. Ses pérégrinations continuèrent : au mois de mars 1880, on le trouve en Égypte, puis dans l’île de Chypre, où il était surveillant de la construction d’un palais pour le gouverneur. À la fin de la même année, il se rendit à Aden, et, engagé comme acheteur par M. Bardey, partit pour la côte orientale d’Afrique ; il traversa tout le désert du Somal et arriva à Harrar, où il s’établit, trafiquant l’or et l’ivoire.