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S’enfonce dans la nuit de l’exil, sous l’outrage,
Parmi les cris de joie et le rire indécent ;

Quand l’homme a renié les sentiments sublimes
Pour la plus misérable entre les vanités,
La Science, qu’il suit au sang de ses victimes
Par des chemins sans but, d’âcre odeur empestés ;

Quand la foule, rêvant une éternelle fête,
N’entend plus honorer ni martyr, ni héros ;
Quand sont venus les jours prédits par le poète,
Où le peuple voudra des combats de taureaux,

Ah! retournons mourir où nous n’avons pu vivre !
Fuyons, d’un cœur blessé par delà le pardon,
La brutale cité que son orgueil enivre,
Que Dieu frappe déjà par un juste abandon.

III


Peupliers aussi hauts que la tour de l’église,
Vieux hêtres pleins de nids et gigantesques houx,
Sapins aux rameaux droits, orme, chêne ou cytise,
Les aïeux disparus vous ont plantés pour nous.

C’était lorsqu’au ciel pur montait l’astre des Jules !
Les coteaux verdissaient sous la vigne et les blés…
Quelques vieillards, devant les rouges crépuscules,
Seuls craignaient pour leurs fils des lendemains voilés.

Et l’orage accourut, suivi de saisons mornes ;
L’eau, s’épanchant du ciel avec de longs frissons,
Nivela les talus, déracina les bornes
Et noya tout l’espoir de nos belles moissons.

Ils ont moins résisté que le roseau fragile
Né, le pied dans la vase, au rebord du chemin,
Les poiriers que, pareils au Daphnis de Virgile,
Nos pères vigilants greffèrent de leur main.

Les épis morts, les fruits perdus jonchent la terre ;
Mais vous êtes debout, dernier asile, à bois !
Vous nous offrez encor vos arches de mystère,
Vos lents détours, peuplés des ombres d’autrefois.