Page:Walch - Anthologie des poètes français contemporains, t2, 8e mille.djvu/242

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Tout calcul tombe et se supprime,
Le cœur bondit, soit vers la gloire ou vers le crime ;
Et tout à coup je m’apparais celui
Qui s’est, hors de soi-même, enfui
Vers le sauvage appel des forces unanimes.

Soit rage, ou bien amour, ou bien démence,
Tout passe, en vol de foudre, au fond des consciences,
Tout se devine, avant qu’on ait senti
Le clou d’un but profond entrer dans son esprit.

Des gens hagards échevèlent des torches,
Une rumeur de mer s’engouffre au fond des porches,
Murs, enseignes, maisons, palais, gares,
Dans le soir fou, devant mes yeux, s’effarent ;
Sur les places, des poteaux d’or et de lumière
Tendent, vers les cieux noirs, des feux qui m’exaspèrent ;
Un cadran luit, couleur de sang, au front des tours ;
Qu’un tribun parle, au coin d’un carrefour,
Avant que l’on comprenne un sens à ses paroles,
Déjà l’on suit son geste — et c’est avec fureur
Qu’on jette à terre et qu’on outrage un empereur,
Qu’on brise et qu’on abat le socle, où luit l’idole.
La nuit est colossale et géante de bruit ;
Une électrique ardeur brûle dans l’atmosphère ;
Les cœurs sont à prendre ; l’âme se serre,
En une angoisse énorme, et se délivre en cris :
On sent qu’un même instant est maître
D’épanouir ou d’écraser ce qui va naître.

Le peuple est à celui que le destin
Dota d’assez puissantes mains
Pour manœuvrer la foudre et les tonnerres
Et dévoiler, parmi tant de lueurs contraires,
L’astre nouveau que chaque ère nouvelle
Choisit pour aimanter la vie universelle.

Oh ! dis, sens-tu qu’elle est belle et profonde,
Mon cœur,
Cette heure
Qui crie et frappe au cœur du monde ?

Que t’importent et les vieilles sagesses
Et les soleils couchants des dogmes dans la mer ;