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Hallucinaient les caps et les îles du Nord,
Et le futur des temps et le passé du monde
Passaient, devant les yeux, quand on narrait son sort.

Au temps des rocs sacrés et des croyances frustes,
Il avait apporté la légende et les dieux,
Dans les tabliers d’or de ses voiles robustes
Gonflés d’espace immense et de vent radieux.

Les apôtres chrétiens avaient nimbé de gloire
Son voyage soudain, vers le pays du gel,
Quand s’avançait, de promontoire en promontoire,
Leur culte jeune à la conquête des autels.

Les pensers de la Grèce et les ardeurs de Rome
Pour se répandre au cœur des peuples d’Occident
S’étaient mêlés, ainsi que des grappes d’automne,
À son large espalier de cordages ardents.

Et quand sur l’univers plana quatre-vingt-treize
Livide et merveilleux de foudre et de combats,
L’aile rouge des temps frôla d’ombre et de braise
L’orgueil des pavillons et l’audace des mâts.

Ainsi de siècle en siècle, au cours fougueux des âges,
Il emplissait d’espoir les horizons amers,
Changeant ses pavillons, changeant ses équipages,
Mais éternel dans son voyage autour des mers.

Et maintenant sa hantise domine encore,
Comme un faisceau tressé de magiques lueurs,
Les yeux et les esprits qui regardent l’aurore
Pour y chercher le nouveau feu des jours meilleurs.

Il vogue ayant à bord les prémices fragiles
Ce que seront la vie et son éclair, demain,
Ce qu’on a pris non plus au fond des Évangiles,
Mais dans l’instinct mieux défini de l’être humain.

Ce qu’est l’ordre futur et la bonté logique,
Et la nécessité claire, force de tous,
Ce qu’élabore et veut l’humanité tragique
Est oscillant déjà dans l’or de ses remous.

Il passe, en un grand bruit de joie et de louanges,
Frôlant les quais de l’aube ou les môles du soir,