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FANTOMES D’AUJOURD’HUI ET DE DEMAIN

Certains jours, je m’accoude au balcon d’où l’on voit
L’humanité qui passe avec ses moignons rouges,
Et ses minces habits transpercés par le froid ;
Des flammes d’alcool teignent le seuil des bouges.

Où donc vont-ils, ces gueux et ces estropiés,
Faisant sonner sous leurs talons le trottoir blême ?
Ils ont l’air de traîner, attachés à leurs pieds,
Des boulets, et leurs fronts semblentlourds d’anathème…
Je les ai reconnus déjà ! C’est le troupeau
Courbé sous le fouet des besognes funèbres,
Ceux qui marchent sans foi, sans guide, sans flambeau,
Ceux dont un poids d’horreur fait craquer les vertèbres.

Ils sont si décharnés qu’on a peur de les voir.
Parfois un grand frisson de fièvre les secoue ;
Ils laissent après eux comme un sillage noir,
A force de rester dans l’ombre et dans la boue !

Lorsque tombe le soir, ils défilent, vomis
Par des hangars où gronde un peuple de machines ;
La griffe des labeurs métalliques a mis
Son stigmate a leurs fronts et tordu leurs échines…

Mais, si vous les croyez vaincus, regardez-les
Quand ils passent sous le reflet d’un réverbère :
Une flamme s’allume en leurs yeux d’exilés,
L’orgueil, qui nous rend forts et qui veut qu’on espèrJ.

Confusément, leur âme a soif de s’élargir
Vers l’exacte science aux problèmes fertiles,
Et leurs poings sont crispés d’un occulte désir
De respirer la vie ailleurs qu’au trou des villes.

Derrière ces murs gris, plus loin que ce faubourg,
Rayonne la bonté du soleil… Ils le savent,
Et sentent s’agiter d’un frémissement sourd
Les chaînes qui depuis des siècles les entravent.