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LES ARGONAUTES

FRAGMENT


Et tous allaient joyeux, mâles, sacrés. Les côtes
Frémissaient sous l’essor viril des Argonautes.
Leurs rires éclatants roulaient dans le matin,
Musculeux, et semblaient terrasser le destin.
Des sens luxuriants, ivres d’un vin magique,
Les dotaient d’une fougue excessive et lyrique,
Qui rendait, dans la nue, au fond du ciel vermei
Jaloux le conquérant quadrige du soleil.
— Apollon pâlissait sous ce vol de tempête.
Et la nef s’exaltait dans l’éclatante fête
Des flots empanachés d’azur et de clartés.
Les bleus déchaînements des grands vents indomptés
Se brisaient sur les flancs du navire. L’abîme
S’échevelait. Partout un souffle qui ranime
Mêlait aux bruits confus et rauques des haubans
Le lyrisme effréné des rameurs sur leurs bancs.
Tous rayonnaient de sainte et radieuse attente,
Et leur âme semblait une mer débordante
Sur laquelle voguaient des trésors de splendeurs.
Ils respiraient sans fin d’entêtantes odeurs,
Et les nuits devenaient claires sous leurs prunelles.
Les rames n’étaient plus des rames, mais des ailes.
Les brises attouchaient le cordage des mâts,
Et les monstres chassés vers les fauves climats
Laissaient la mer en proie aux grâces des Sirènes ;
Sans cesse elles passaient, belles comme des reines,
Leur romance marine extasiait le ciel.
Les flots se balançaient d’un geste rituel
Sur l’abîme nautique où bondissent les proues.
Et tous chantaient, ravis : le soleil sur leurs joues
Epandait les rayons de son charme divin ;
L’air chatoyant et vif enfiévrait comme un vin
Béni par la bonté de Bacchus aux mains ivres,
Et les rochers vibraient à la façon des cuivres,
Rythmant le chaud triomphe épique des guerriers.
— Et tous, ils riaient tous, ces fiers aventuriers,