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Depuis l’éternité, quel but peux-tu poursuivre ?
S’il est un but, comment no pas l’avoir atteint ?
Qu’attend ton idéal, ô nature, pour vivre ?
Ou, comme tes soleils, s’est-il lui-même éteint ?

L’éternité n’a donc abouti qu’à ce monde !
La vaut-il ? valons-nous, hommes, un tel effort ?
Est-ce en nous que l’espoir de l’univers se fonde ?…
Je pense, mais je souffre : en suis-je donc plus fort ?

La pensée est douleur autant qu’elle est lumière ;
Elle brûle : souvent la nuit, avec effroi,
Je regarde briller dans l’azur chaque sphère
Que je ne sais quel feu dévore comme moi.

Si dans mon œil ouvert tout astre vient se peindre,
Et si jusqu’en mes pleurs se reflète le ciel,
D’une larme, comment, hélas ! pourrais-je éteindre
Là-bas, dans l’infini, l’incendie éternel ?

Vers quel point te tourner, indécise espérance,
Dans ces cieux noirs, semés d’hydrogène et de fer,
Où la matière en feu s’allonge ou se condense
Comme un serpent énorme enroulé dans l’éther ?

Puisque tout se ressemble et se tient dans l’espace,
Tout se copie aussi, j’en ai peur, dans le temps ;
Ce qui passe revient, et ce qui revient passe :
C’est un cercle sans fin que la chaîne des ans.

Est-il rien de nouveau dans l’avenir qui s’ouvre ?
Peut-être — qu’on se tourne en arrière, en avant. —
Tout demeure le même : au loin on ne découvre
Que les plis et replis du grand serpent mouvant.

Oh ! si notre pensée était assez féconde,
Elle qui voit le Mieux, pour le réaliser ;
Si ses rêves germaient! oh! si dans ce lourd monde
Son aile au vol léger pouvait un peu peser !

La sentant vivre en moi, j’espérerais par elle
Voir un jour l’avenir changer à mon regard…
— Mais, ma pensée, es-tu toi-même bien nouvelle ?
N’es-tu point déjà née et morte quelque part ?

(Vers d’un Philosophe.)