Page:Walras - L’Économie politique et la justice.djvu/172

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selon vous, non plus que l’air respirable, la lumière et la chaleur solaires, l’eau des fleuves. Donc pour que vous pussiez, avec quelque apparence de raison, traiter le propriétaire terrien de voleur, il faudrait que vous prissiez la peine de réformer toute votre théorie de la valeur d’échange ; que vous consentissiez à reconnaître qu’elle est fausse en tout point, qu’il n’y a pas que le travail qui vaille, que la terre a, par elle-même, quelque valeur ; que généralement la valeur ne se mesure pas plus qu’elle ne se fonde sur les frais de production, mais qu’elle se fonde et se mesure, au contraire, sur la rareté des choses utiles ; il faudrait qu’enfin vous eussiez le courage de vous instruire des éléments de cette question de la valeur, la première des questions économiques. Premier point.

En second lieu, l’être végétal ou animal, irresponsable, qui s’approprie des objets de valeur n’est point voleur ; et il ne l’est point parce qu’il n’est ni libre, ni responsable. Le renard qui mange une poule dans un poulailler n’agit ni pour ni contre le droit. L’homme qui s’approprie la terre est dans le même cas, selon vous, puisque, selon vous, le fait d’appropriation n’est pour l’homme comme pour la brute qu’une manifestation fatale de son autonomie. Donc, vous auriez encore à modifier ici très-essentiellement votre manière d’envisager les choses. Vous auriez à convenir que l’appropriation est de la part de l’homme une manifestation libre et intelligente d’une personnalité responsable, qu’elle est donc un fait moral, soumis, dès l’instant qu’il se produit, à l’examen et à l’autorité de la justice.