Page:Walter - Voyage autour du monde fait dans les années 1740, 1, 2, 3, 4, 1749.djvu/136

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Terre que nous cherchions, ce fut un spectacle très agréable à nos yeux. Il n’y avoit aucun autre endroit où nous pussions espérer de trouver la fin des maux terribles, contre lesquels nous avions si longtems lutté, qui avoient déja enlevé plus de la moitié de notre monde, et qui, si nous avions été obligés de tenir la Mer encore quelques jours, auroient entrainé après eux notre perte totale. Car nous nous trouvions en ce tems-là réduits à une si misérable condition, que d’environ deux cens hommes qui étoient restés en vie nous ne pouvions pas, en rassemblant tous ceux qui pouvaient être de Quart, avoir en cas d’accident assez de monde pour gouverner le Vaisseau, même en comptant les Officiers, leurs Valets, et les Mousses.

Comme le vent étoit alors au Nord, nous louvoyames tout le jour et la nuit suivante, pour pouvoir gagner terre ; et durant le second Quart, voulant revirer de bord, nous eumes un triste exemple de la faiblesse incroyable de notre Equipage ; car le Lieutenant ne put jamais rassembler plus de deux Quartier-Maitres, et six Matelots, en état de maneuvrer ; de sorte que sans le secours des Officiers, des Valets, et des Mousses, il auroit été impossible de gagner l’Ile que nous avions devant les yeux ; et même avec ce secours, il nous fallut deux heures pour border nos voiles. Tel étoit l’état d’un Vaisseau de soixante pièces, qui trois mois auparavant avoit passé le Détroit de Le Maire avec un Equipage de quatre à cinq cens hommes, presque tous sains et vigoureux.

Le 10 de Juin, l’après-midi nous nous trouvames sous le vent de l’Ile que nous côtoyames à la distance d’environ deux milles, pour trouver un bon ancrage, qui suivant la description que nous en avions, étoit dans une Baye au côté Septentrional de l’Île. Nous étions à portée de voir que les précipices escarpés, dont nous nous étions formé de si désagréables idées à une certaine distance, bien loin d’être stériles, étoient presque par-tout couverts de bois, ils laissoient entre eux des Vallées charmantes par leur verdure, et par toutes les sources, et les cascades dont elles étoient arrosées, chacune de ces Vallées, pour peu qu’elle eût d’étendue, ayant au moins son ruisseau. L’eau comme nous l’éprouvames dans la suite, ne le cédoit en bonté à aucune que nous eussions jamais goutée, et restoit toujours claire. La vue d’un pareil païs auroit été ravissante en tout tems ; mais dans une situation telle que la nôtre, languissans après la terre, et les plantes, qui seules pouvoient guérir le Scorbut, qui nous désoloit, il n’est guère possible de concevoir le coup d’œil que nous jet-