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l’horizon les voiles de notre Chaloupe : nous envoyames le Canot au devant d’elle, qui nous la ramena à la toue en peu d’heures. L’Equipage de la Chaloupe s’étoit chargé de six malades du Gloucester, pour les porter à bord, mais de ces six deux moururent dans la Chaloupe. Nous apprimes alors le triste état où le Gloucester étoit réduit ; il y avoit à peine un homme qui ne fût pas malade, excepté ceux que nous y avions envoyés : la mortalité y étoit terrible, et sans les provisions que nos Chaloupes y avoient portées, tous, sains et malades mouroient également faute d’eau. Ce qu’il y avoit de plus triste, c’est que ces maux paroissoient sans remède ; il y avoit déjà un mois que ce Vaisseau faisoit tout ce qu’il pouvoit pour entrer dans la Baye, et il n’étoit pas plus avancé que le premier moment qu’il découvrit l’Ile ; l’Equipage perdoit tout-à-fait courage, et ce jour même qu’il reçut notre dernier secours, sa situation parut plus désespérée que jamais, nous perdimes de nouveau le Vaisseau de vue, et n’osames plus nous flatter de les voir gagner l’ancrage.

Enfin le moment de délivrance arriva dans le tems que nous nous y attendions le moins : car plusieurs jours après que le Gloucester avoit disparu à nos yeux, nous fumes agréablement surpris le matin du 23 de Juillet, de lui voir doubler à pleines voiles, la pointe du Nord Ouest de la Baye. Nous envoyames en toute diligence à son aide, toutes les Chaloupes que nous avions, et une heure après que nous l’eumes apperçu, il vint mouiller l’ancre entre la terre et nous. Nous eumes lieu alors d’être pleinement convaincus, que tous les secours et les provisions que nous lui avions envoyés, lui avoient été d’une nécessité absolue ; pour peu qu’il en eût manqué la moindre partie, il étoit impossible qu’un seul homme de l’Equipage eût échappé à la mort : malgré les attentions extrêmes du Commandeur pour leur assistance, et le succès de ces attentions ils avoient perdu les trois quarts de leur monde ; et peu de ceux qui restoient en vie étoient capables du moindre service. Notre prémier soin fut de les aider à jetter l’ancre, et le second de porter leurs malades à terre : ils étoient réduits à moins de quatre-vingts, et nous nous attendions bien à en voir mourir la plus grande partie : mais soit que ceux dont la maladie avoit atteint un certain point de malignité, fussent déja tous morts, soit que les rafraichissemens que nous leur avions fournis eussent disposé ceux qui restoient à une guérison plus prompte, il arriva que ces malades furent beaucoup plutôt rétablis que les nôtres ne l’avoient été à notre arrivée dans l’Ile, et qu’il en mourut très peu depuis qu’ils furent débarqués.