Page:Walter - Voyage autour du monde fait dans les années 1740, 1, 2, 3, 4, 1749.djvu/179

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Le Capitaine prit un peu trop tard le parti de la dissimulation : en s’opposant d’abord ouvertement au projet favori de son Equipage, il l’indisposa contre lui ; et un accident qui survint malheureusement augmenta de beaucoup cette aigreur. Un Bas Officier, nommé Cozens, avoit toujours paru à la tête des Mutins ; il avoit déja eu souvent des querelles avec les Officiers, qui restoient attachés au Capitaine, et avoit même insulté celui-ci avec la dernière insolence. Comme sa brutalité et sa pétulance ne faisoient que croître de jour en jour, on ne douta point qu’il se couvât quelque complot dont Cozens étoit le Chef ; et dans cette persuasion le Capitaine et ses amis se tenoient toujours sur leurs gardes. Un jour que le Munitionaire avoit, par ordre du Capitaine, retranché la ration à un homme qui ne vouloit pas travailler, Cozens vint se mêler de cette affaire, sans même que cet homme l’en priât, et insulta le Munitionaire, qui, de son côté, n’étant point du tout endurant et piqué peut-être d’ailleurs contre Cozens, cria à la mutinerie, il ajouta que le Coquin avoit des pistolets, et lui en tira un coup lui-même, dont pourtant il le manqua. Le Capitaine, à ce bruit, sortit de sa Tente, et ne doutant pas que ce coup n’eut été tiré par Cozens et ne fût le signal d’une sédition, lui tira, sans hésiter, un coup de pistolet à la tête, dont il mourut au bout de quinze jours.

Cette brusque expédition, quoiqu’elle révoltât les esprits, leur en imposa en même tems, et les rendit pour quelque tems plus soumis à l’autorité du Capitaine : mais vers le milieu d’Octobre, que la double Chaloupe fut presque achevée et que tout se préparoit pour le départ, les Mutins s’apperçurent que le Capitaine traversoit sous main leur retour par le Détroit de Magellan, et craignirent qu’il ne vînt enfin à bout de faire échouer ce projet. Là-dessus, ils se déterminèrent à le déposer et à l’arrêter prisonnier, sous prétexte de le ramener en Angleterre pour y être jugé sur le meurtre de Cozens. En effet ils lui donnèrent des gardes, quoiqu’ils fussent cependant bien éloignés de vouloir l’emmener avec eux ; ils savoient trop bien ce qui les attendoit en Angleterre, s’ils y arrivoient avec leur Capitaine. Dès qu’ils furent prêts à mettre en Mer, ils le remirent en liberté, ne lui laissant, pour lui et pour le petit nombre de ceux qui voulurent courir même fortune avec lui, que le Jol. A quoi le Bateau à rame fut ensuite ajouté, parce que ceux qui le montoient se laissèrent persuader de rejoindre le Capitaine.

Lorsque le Wager fit naufrage, il n’y restoit à bord qu’environ cent