Page:Walter - Voyage autour du monde fait dans les années 1740, 1, 2, 3, 4, 1749.djvu/228

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fils du Vice-Président du Conseil du Chili. On sait toutes les barbaries que les Boucaniers et les Flibustiers ont commis autrefois ; et les Gens d’Église s’en étoient habilement servis pour donner à tous les habitans de ces Païs les idées les plus affreuses de la Nation Angloise. Nos Prisonniers, la prémière fois que nous les obligeames à passer sur nos Vaisseaux, y parurent tous saisis d’effroi et d’horreur. Le jeune-homme entre autres, dont je viens de parler, qui n’étoit jamais sorti de la maison paternelle, déploroit son sort de la manière la plus touchante, il regrettoit son Père, sa Mère, ses Frères, ses Sœurs, sa terre natale, dont il se croyoit séparé pour jamais, et s’imaginoit être condamné pour le reste de sa vie à l’esclavage le plus dur, et le plus bas. C’étoit-là à peu près la manière de penser de tous les Espagnols, qui nous tomboient entre les mains. Mr. Anson n’épargna rien de tout ce qui pouvoit effacer ces fausses idées qu’ils s’étoient formées de nous : il eut soin de faire manger tour à tour à sa table les plus considérables d’entre eux, autant qu’il y avoit de place, et donna les ordres les plus sévères pour qu’ils fussent tous traités avec toute la décence et l’humanité possibles. Malgré ces précautions, nous remarquions fort bien qu’il leur falloit quelques jours pour se désabuser, et pour s’ôter de l’esprit que cette douceur feroit bientôt place à des cruautés inouies. Enfin pourtant ils se rassurèrent ; la tranquilité et la joye même succédèrent à leurs craintes, et ils ne parurent plus s’inquiéter beaucoup de leur prison. Le jeune-homme, dont j’ai déja parlé, changea si bien d’idée, conçut tant de respect et de tendresse pour Mr. Anson, et prit tant de goût à notre manière de vivre, qui lui étoit toute nouvelle, que lorsqu’on le relâcha à Paita, je doute s’il n’eût pas mieux aimé venir faire un voyage avec nous en Angleterre, que de s’en retourner chez lui.

Cette conduite de Mr. Anson à l’égard de ses Prisonniers leur donna les plus grandes idées de son humanité et de sa bonté, et comme les hommes aiment volontiers à former des règles générales, elle les disposa à juger fort avantageusement de la Nation Angloise. Cependant quelque vénération que nos premiers Prisonniers eussent conçue pour Mr. Anson, elle fut bien augmentée par la manière dont il en agit à l’égard des femmes, qui se trouvoient à bord de la Thérèse, lorsque ce Vaisseau tomba entre nos mains. Il leur laissa l’apartement qu’elles y avoient occupé, défendit très expressément à ses Gens d’en approcher, et permit au Pilote de ce Batiment de rester auprès d’elles pour les garder. Ces manières d’un Ennemi, et d’un Ennemi Hérétique, surprirent ceux-mêmes