Page:Webb - Sept pour un secret, 1933.djvu/161

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dit des choses risquées pour jauger les hommes de son entourage. Parce qu’Elmer avait fléchi, il eut à payer les agneaux plus que leur valeur réelle ; s’il avait paru seulement surpris, il aurait peut-être pu les avoir au juste prix, s’il n’avait pas bronché, il aurait profité d’une occasion. « La victoire au plus fort », c’était la devise d’Isaïe. Pourtant il n’avait rien contre Elmer et respectait son argent. Assis au dîner en face de son hôte — ils étaient servis par Mme Makepeace — il lui mettait dans son assiette, comme il aimait le faire pour lui-même, d’épaisses tranches de filet saignant, de gros morceaux de gras et d’abondantes portions de pudding, tout en caressant une vision : tout l’argent d’Elmer passait doucement, gentiment, mais de façon irrévocable de sa banque à la sienne.

Du bout de la table, où il se dressait, énorme derrière l’énorme pièce de bœuf, la fourchette et le couteau à découper à la main, il considérait Elmer à travers la nappe blanche du dimanche et ses accessoires classiques, deux plats de légumes, deux cruches de bière, du pain, du fromage, de la sauce et du jus, et un huilier. Isaïe aimait que les choses nécessaires à la vie fussent simples, mais copieuses et en permanence : il ne tenait qu’à cela. En observant le visage d’Elmer, sur lequel transparaissait une vague nuance de faiblesse cachée quelque part, il conclut que celui-ci deviendrait éventuellement un de ses auxiliaires nécessaires, s’il réussissait bien. S’il faisait vivement fructifier son avoir, s’il achetait La Sirène, possédait quelques chevaux et de nombreux moutons, il ferait un bon parti pour Gillian. Isaïe éprouva surtout ce désir quand les deux ou trois points faibles de son nouvel ami se laissèrent deviner sous la fermeté générale Un garçon agréable, inoffensif, jugeait Isaïe, avec penchant à la débauche