Page:Webb - Sept pour un secret, 1933.djvu/172

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créature, une indifférente, mais je la garde, sans ça elle serait à la rue.

— À la rue sans ça, répéta Robert d’un air stupide, et il ne cessait de regarder la femme restée dans le cabriolet et il sentait, suivant son expression, « son cœur se fondre en eau ».

Muette et complètement perdue dans le vaste monde ! Pas de parents, pas de voix, pas d’amour, rien. Elle était assise là, dans une telle atmosphère d’abandon qu’il était presque impossible de lui parler. Autant crier « Ohé ! » à un navire sans feux, comme l’avait fait une fois l’oncle de M. Mooney — crier « Ohé !» à un navire enveloppé de silence, et le voir — comme l’oncle de M. Mooney jurait l’avoir fait — manœuvré sans un bruit par des fantômes. Dans l’immense néant qu’habitait cette femme, qu’était-ce qu’un mot ?

Les viornes pliaient sous la pluie et en dessous la bruyère soupirait. Robert regardait toujours la femme qui avait le silence pour demeure. Qu’y avait-il ? Elle était, comme disait Elmer, indifférente, bizarre. Ses cheveux noirs pendaient en mèches désordonnées autour de sa figure. Mais ce visage ! Taillé dans une matière plus dure que ceux qu’il connaissait, taillé dans un granit sombre et crevassé, torturé, farouche et sauvage, et pourtant, en un sens, magnifique. Et ses yeux ! Oui, c’est là que résidait le secret. Il était dans ces yeux noirs, non pas d’un noir de velours, mais de cette teinte plus rare, de ce noir clair et lumineux d’une eau d’ébène qu’éclaire la lune dans un bief de moulin… d’un noir clair, avec des pupilles de velours, voilés de gros cils lourds, surmontés d’épais sourcils et beaucoup trop grands pour sa figure blafarde. Telle était la sauvage, la sauvage angoissée, qui se présentait sous le nom banal de ménagère d’Elmer et qui maintenant,