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SEPT POUR UN SECRET…

ni le recteur, ni Robert, personne ne lèverait le doigt pour la secourir. Et quand Elmer l’aida à grimper dans le cabriolet et se mit en route, en sifflant, le long des routes, dans la fraîcheur matinale, on aurait pu mesurer l’amertume de son cœur à ce fait qu’elle souhaitait d’être encore chez sa tante Fanteague, oui, même avec M. Gentil pour tout amoureux, et la tante Émilie ressassant éternellement ses rêves angéliques.

— Eh bien, fit Elmer, avec la grossièreté de la satisfaction égoïste, eh bien, ma chère, tout est arrangé et personne ne s’en trouve plus mal. Tout va bien, les bans seront publiés et vous à la Sirène avant que nous ayons le temps de nous reconnaître.

Il étouffait en lui un pressentiment.

Tout allait-il bien, vraiment ? Gillian écoutait sans rien dire. Car, hélas ! celui qu’elle voulait n’était-il pas parti sans elle ? N’était-elle pas dans le cabriolet de l’autre ? Ne s’était-elle pas réveillée à côté de celui dont elle ne voulait pas ?

Elle se demandait si sa tante Émilie avait éprouvé la même chose qu’elle quand la mort lui avait enlevé M. Gentil, ce qu’elle sentait maintenant que la vie lui dérobait son Robert Rideout. Elle commençait même à se demander si le canard ardoise avait souffert quand elle lui avait arraché la vie et les plumes, si les lapins souffraient quand elle achetait des leçons de musique au prix de leur existence. Elle comprenait pourquoi Robert l’avait obligée à faire la croix avec des épines. Elle avait l’impression qu’elle en ferait une jusqu’à la fin de ses jours. En somme, Gillian commençait à mûrir, à devenir plus sage, parce qu’elle commençait à souffrir. Et souffrir, c’est devenir sensible à l’univers et à tout ce qu’il contient, depuis un grain de poussière jusqu’à l’âme d’un poète.