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SEPT POUR UN SECRET…

— Chantez, Gillian, voulez-vous ? dit-il.

Qu’il l’eût fait à dessein ou non, sa façon de l’appeler par son prénom fit courir du feu dans les veines de la jeune femme. Elle oublia Ralph, elle oublia le narquois Fringal, elle oublia où et qui elle était. Elle ne savait même plus pourquoi elle devait chanter. Pourquoi ? Ah si, elle le savait très bien : elle allait, en chantant une chanson bohémienne, mettre son cœur à nu devant Robert ; elle allait lui faire voir, oui, lui faire comprendre ; elle allait, par son chant, le faire passer du rêve à la réalité de l’amour. Serait-ce sa faute à elle ? Non. C’était lui qui avait tout combiné, lui qui lui avait donné le piano, lui qui lui avait dit de chanter. Il avait fait demander à l’ami de Johnson la chanson qu’Esméralda, instruite par sa mère et sa grand’mère — car cet air s’était transmis de génération en génération — avait chanté à Ailse près des eaux paisibles du Val des Fées. Non que Gillian connût ces détails : elle savait seulement que c’était un chant qui la faisait trembler, qui lui inspirait de la terreur et faisait sonner dans son esprit des cloches qu’elle n’avait jamais entendues. Si elle pouvait chanter cet air à Robert comme elle le désirait, sûrement, sûrement Robert comprendrait. Certainement, il sentirait enfin que c’était lui qu’elle aimait et non Ralph, qu’elle se mourait de désir…

Avec un air de reine, la tête haute, dans sa robe que faisait resplendir la lueur du feu, elle traversa la cuisine et disparut dans le petit parloir.

Robert lança un coup d’œil à Ruth qui, se levant sans hâte, s’assit près du tableau noir. Robert changea de position de manière à voir Ralph et Fringal aussi bien que le tableau.

Et voici la chanson que Gillian, femme de Ralph