Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/100

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Un autre jeu, inventé par Gesril, paraissait encore plus dan- gereux lorsque la mer était haute et qu'il y avait tempête, la vague, fouettée au pied du château du côté de la grande grève, jaillissait jusqu'aux grandes tours. A vingt pieds d'élévation au-dessus de la base d'une de ces tours régnait un parapet en granit, étroit, glissant, incliné, par lequel on communiquait au ravelin (1) qui défendait le fossé il s'agissait de saisir l'instant entre deux vagues, de franchir l'endroit périlleux avant que le Hot se brisât et couvrit la tour. Voici venir une montagne d'eau qui s'avançait en mugissant, laquelle, si vous tardiez d'une minute, pouvait, ou vous entraîner, ou vous écraser contre le mur. Pas un de nous ne se refusait à l'aventure, mais j'ai vu des enfants pâlir avant de la tenter. Deux aventures mirent fin à cette première partie de mon histoire et produisirent un changementnotable dans le système de mon éducation. Nous étions un dimanche sur la grève, à l'éventail de la porte • Saint-Thomas et le long du Sillon; de gros pieux enfoncés dans le sable protègent les murs contre la houle. Nqus grimpions ordinairement au haut de ces pieux pour voir passer au-dessous de nous les premières ondulations du flux. Les places étaient prises comme de coutume; plusieurs petites filles se mêlaient aux petits garçons. J'étais le plus en pointe vers la mer, n'ayant devant moi qu'une jolie mignonne, Hervine Magon, qui riait de plaisir et pleurait de peur. Gesril se trouvait à l'autre bout du côté de la terre. Le flot arrivait, il faisait du vent déjà les bonnes et les domes- tiques criaient « Descendez, mademoiselle descendez, mon- sieur 1 Gesril attend une grosse lame lorsqu'elle s'engouffre entre les pilotis, il pousse l'enfarit assis auprès de lui celui-là se renverse sur un autre celui-ci sur un autre toute la file s'abat comme des moines de cartes (2), mais chacun est retenu par son voisin; il n'y eut que la petite fille de l'extrémité de la ligne sur laquelle je chavirai et qui, n'étant appuyée par per- sonne, tomba. Le jusant (3) l'entraîne aussitôt mille cris, tou- tes les bonnes retroussant leurs robes et tripotant dans la mer, chacune saisissant son marmot et lui donnant une tape. Her- vine fut repêchée; mais elle déclara que François l'avait jetée 1. /liwcliu vioux tonne militaire demi-lune, ouvrage de'fortification composé de deux faces qui forment un angle snillant. 2. Comme des moines de caries on dit aussi des capucins de carias. « Capucin do carto, carte plié et coupée de manière qu'elle peut se tenir droite, et fine sa partie supérieure a quelque ressemblance avec un capuelron. les enfants s'rzmusent avec des capucins de (Dictionnaire do l'Académie, 1835) 3. Le jusant le reflux de la marée.