Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/112

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dans l'oreille les grands éclats de joie de l'enfant, son bon rire de gamin amusé, lorsque le clown, le beau clown tout pailleté d'or, avec un grand papillon mordoré, scintillant, multicolore, dans le dos de son costume noir, faisait quelque gambade à travers ta piste, donnait un croc-en-jambe à un écuyer, ou se tenait immobile et raidé sur le sable, la tête en bas et les pieds en l'air, ou jetait au lustre des chapeaux de feutre mou qu'il at- trapait adroitement sur son crâne, où ils formaient un à un une pyramide, et à chaque tour, à chaque lazzi, comme un bon re- frain égayant sa large face spirituelle et drôle, poussait le même cri, répétait le même mot, accompagné parfois par un roule- ment de l'orchestre Boum-Boum Boum-Boum! Et à chaque fois qu'il arrivait, Boum-Boum, le cirque éclatait en bravos, et le petit partait de son grand rire. Boum-Boum 1 C'était ce Boum-Boum-là, c'était le clown du cirque, c'était l'amuseur de toute une partie de la ville qu'il voulait voir, qu'il voulait avoir, le petit François, et qu'il n'au- rait pas et ne verrait pas, puisqu'il était là, couché, sans forces, dans son lit blanc Le soir, Jacques Legrand apporta à l'enfant un clown arti- culé, tout cousu de paillons, qu'il avait acheté, dans un passage, très cher. Le prix de quatre de ses journées de mécanicien Mais il en eût donné vingt, trente, il eût donné le prix d'une année de son labeur, pour ramener un sourire aux lèvres pâles du malade. L'enfant regarda un moment le joujou, qui étincelait sur ses draps blancs; puis tristement « Ce n'est pas Boum-Boum. Je veux voir Boum-Bou.m! » Ah! si Jacques avait pu l'envelopper dans ses couvertures, l'emporter, le porter au cirque, lui montrer le clown dansant sous le lustre allumé, et lui dire « Regarde » Il fit mieux, Jacques. Il alla au cirque, demanda l'adresse du clown timide, les jambes cassées d'émotion, il monta une à une les marches qui menaient à l'appartement de l'artiste, à Mont- martre. C'était bien hardi ce qu'il venait faire là, Jacques Mais, après tout, les comédiensvont bien chanter, dire des monologues chez les grands seigneurs, dans les salons. Peut-êtreque le clown oh! pour ce qu'il voudrait! consentirait à venir dire bon- jour François. Comment allait-on le recevoir, lui, Jacques Le- grand, là, chez Boum-Boum? Ce n'était plus Boum-Boum! C'était M. Moreno, et, dans le logis artistique, des livres,des gravures, une élégance d'art fai- saient comme un décor'choisi à un charmant homme, qui reçut Jacques dans son cabinet, pareil à celui d'un médecin.

Jacques regardait, ne reconnaissait pas le. clown, et tournait,