Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/119

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en promenade, mais il parut surpris que j'ignorasse que c'était les vacances, que tous les élèves fussent chez eux, que M. Creakle, le directeur, fût au bord de la mer avec Mmo et M"0 Creakle, et que l'on m'envoyât en pleines vacances pour me punir de mon méfait. C'est ce qu'il m'expliqua tandis que nous approchions. J'observai curieusement la classe où il me fit entrer jamais je n'avais vu d'endroit plus misérable et plus désolé. Je le revois encore. Une longue pièce, avec trois longues rangées de pupitres et six de bancs, les murs hérissés de patères pour les chapeaux et les ardoises. Des lambeaux de vieux cahiers et de vieux devoirs jonchent le plancher sale. Des maisons de vers à soie, construitesdes mêmes matériaux, sont éparses sur les pupitres. Deux pauvres petites souris blanches, abandonnées par leur propriétaire, courent affolées dans un castel de carton moisi et de fil de fer, fouillant tous les coins de leurs yeux rouges pour y trouver quelque chose à manger. Un oiseau, dans une cage à peine plus grande que lui, fait de temps en temps un petit bruit sec et mélancolique en sautant sur son perchoir, à deux pouces de haut, ou lorsqu'il en retombe mais il ne chante ni ne pépie. Il pèse sur la pièce uné odeur étrange et malsaine cela sent le velours mouillé, la pomme douce privée d'air et le livre pourri. Il ne pourrait guère y avoir plus d'encre écla- boussée sur toute son étendue, eût-elle été sans toit depuis qu'elle est bâtie et que les cieux y eussent fait pleuvoir, neiger, grêler et venter de l'encre pendant toutes les saisons de l'année. M. Mell m'ayant quitté un instant pour monter dans sa chambre sa paire de bottines irréparable, je m'avançai douce- ment jusqu'au bout de la pièce en observant tout cela chemin faisant. Tout à coup, je tombai sur un écriteau en carton, posé sur la chaire, et qui portait ces mots calligraphiés « Atten- tion. Il mord 1 » J'escaladai la chaire immédiatement, non sans crainte de trouver dessous au moins un gros chien. Mais j'eus beau regar- der anxieusement tout autour, je ne pus rien voir de semblable. Je cherchais encore, quand. M. Mell revint et me demanda ce: que je faisais là-haut. «  Je vous demande pardon, Monsieur, dis-je, je cherche le chien. Le chien? dit-il quel chien ? Ce n'est donc pas un chien, Monsieur? Qu'est-ce qui n'est donc pas un chien ? La bête à qui il faut faire attention, Monsieur; la bête qui mord 1 Non, Copperfield, dit-il, d'un ton grave. Ce n'est pas un chien, c'est un élève. J'ai ordre, Copperneld, de vous mettre cet