Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/134

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Le visage de la Thénardier prit cette expression particulière qui se compose du terrible mêlé aux riens de la vie et qui a fait nommer ces sortes de femmes mégères (1). Cette fois, l'orgueil blessé exaspérait encore sa colère. Cosette avait franchi tous les intervalles, Cosetteavait attenté à la pou- pée de « ces demoiselles Une czarine qui verrait un.mougick (2) essayer le grand cor- don bleu de son impérial fils n'aurait pas une autre figure. Elle cria d'une voix que l'indignation enrouait « Cosette » Cosette tressaillit comme si la terre eût tremblé sous elle. Elle se retourna. «  Cosette » répéta la Thénardier. Cosette prit la poupée et la posa doucement à terre avec une sorte de vénération mêlée de désespoir. Alors, sans la quitter des yeux, elle joignit les mains, et, ce qui est effrayant à dire dans un enfant de cet âge, elle se les tordit; puis, ce que n'avait pu lui arracher aucune des émotions de la journée, ni la course dans le bois, ni la pesanteur du seau d'eau, ni la perte de l'ar- gent, ni la vue du martinet, ni même la sombre parole qu'elle avait entendu dire à la Thénardier (3), elle pleura. Elle éclata en sanglots. Cependant le'voyageur s'était levé. «  Qu'est-ce donc, dit-il à la Thénardier. - > Vous ne voyez pas? dit la Thénardieren montrant du doigt le corps du délit qui gisait aux pieds de Cosette. Eh bien, quoi ? reprit l'homme. Cette gueuse, répondit la Thénardier, s'est permis de tou- cher à la poupée des enfants 1 Tout ce bruit pour cela dit l'homme. Eh bien, quand elle jouerait avec cette poupée ? Elle y a touché avec ses mains sales! poursuivit la Thé- nardier, avec ses affreuses mains 1 Ici Cosette redoublases sanglots. «  Te tairas-tu 1 » cria la Thénardier. L'homme alla droit à la porte de la rue, l'ouvrit et sortit. Dès qu'il fut sorti, la Thénardier profita de son absence pour allonger sous la table à Cosette un grand coup de pied qui fit jeter à l'enfant les hauts cris. 1. Mégère Se dit d'une femme très méchante. 2. Mougick mot russe qui signifie paysan. 3. Aucune des émotions de la journée, etc. la Thénardiera envoyé Cosette, en pleine nuit, dans le bois voisin, puiser un seau d'eau très lourd à une source. En se baissant, Cosette a perdu une pièce d'argent qu'on lui a donnée pour acheter un pain. Elle a failli recevoir des coups de martinet, et vient d'entendre dire par la Thénar- dier, sans comprendre son malheur, que sa mère est morte.