Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/137

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Presque au même instant que les deux enfants, un autre couple s'approchait du grand bassin. C'était un bonhomme de cinquante ans qui menait par la main un bonhomme de six ans. Sans doute le père avec son fils. Le bonhomme de six ans tenait une grosse brioche. Les petits pauvres regardèrent venir ce « monsieur » et se cachèrent un peu plus. Le père et le fils s'étaient arrêtés près du bassin où s'ébat- taient les deux cygnes. Ce bourgeois paraissait avoir pour les cygnes une admiration spéciale. Il leur ressemblait en ce sens qu'il marchait comme eux. Pour l'instant les cygnes nageaient, ce qui est leur talent principal, et ils étaient superbes. Cependant le fils mordit la brioche, la recracha, et brusque- ment se mit à pleurer. « Pourquoi pleures-tu? demanda le père. Je n'ai plus faim, dit l'enfant. On n'a pas besoin de faim pour manger un gâteau. Mon gâteau m'ennuie. Il est rassis. Tu n'en veux plus?

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Non. » Le père lui montra les cygnes. «  Jette-le à ces palmipèdes. » L'enfant hésita. On ne veut plus de son gâteau, ce n'est pas une raison pour le donner. Le père poursuivit «  Sois humain. Il faut avoir pitié des animaux. » Et, prenant à son fils le gâteau, il le jeta dans le bassin. Le gâteau tomba assez près du bord. «  Rentrons », dit le père. Cependant, en même temps que les cygnes, les deux petits errants s'étaient approchés de la brioche. Elle flottait sur l'eau. Le plus petit regardait le gâteau; le plus grand regardait le -bourgeois'qui s'en allait. Le père et le fils entrèrent dans le labyrinthe d'allées qui mène au grand escalier du massif d'arbres du côté de la rue Madame. Dès qu'ils ne furent plus en vue, l'aîné se coucha vivement à plat ventre sur le rebord arrondi du bassin, et, s'y cramponnant de la main gauche, penché sur l'eau, presque prêt à y tomber, étendit avec sa main droite sa baguette vers le gâteau. Les cygnes, voyant l'ennemi, se Ratèrent, et en se hâtant firent un effet de poitrail utile au petit pêcheur; l'eau devant les cygnes reflua, et l'une de ces molles ondulations concentriques poussa doucement la brioche vers la baguette de l'enfant. Comme les cygnes arrivaient, la baguette toucha le gâteau. L'enfant donna un coup vif, ramena la brioche, effraya les cygnes, saisit le