Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/157

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Le Pinson EN ce temps-là, j'avais'onze ANS et je tendais aux petits oiseaux dans un taillis appartenant à mon grand-père. Ces tendues sont fort usitées dans notre pays de Lorraine, où elles ont lieu de septembre à novembre, à l'époque des passages. Tout le menu peuple des oisillons vient se faire prendre aux pièges, et notam- ment à ce cruel traquenard que La Fontaine nommait des regin- glettes, et que nous appelons chez nous des sauterelles. Cet engin consiste èn une souple branche de coudrier recour- bée comme une raquette, et dont les deux extrémités sont rap- prochées au moyen d'une ficelle double. On plante chaque raquette sur le champ, de vingt pas en vingt pas, le long des sentes ou au bord des mares fréquentées par les oiseaux. Quel- ques tendeurs plus industrieux accrochent même, au-dessus de la raquette, un bouquet de baies de sorbier, en guise d'appât. Le matin et le soir, plus d'un bec-fin qui vient boire à la mare se laisse tenter par la traîtresse mine de ce perchoir invitant il s'y pose, une cheville tombe avec un bruit sec, et la malheu- reuse bestiole, prise dans le noeud coulant subitement resserré, reste suspendue par ses pattes meurtries, au sommet de la ra- quette détendue. Un soir, au moment où nous procédions, mon grand-père et moi, à la dernière tournée, je fus attiré dans une sente par de petits cris aigus, et je vis, se débattant à l'une de nos saute- relles, un oiseau qui venait de se prendre au trébuchet. Il était à peu près de la taille d'un moineau, et la furie avec laquelle il battait des ailes avait quasi renversé la raquette,. Pourtant, soit que la détente de la ficelle eût été moins brusque que d'ha- bitude, soit que les pattes du patient fussent plus résistantes, il n'était point endommagé. Il avait le dos marron et le dessus de la tête, ainsi que le bec, d'un bleu ardoisé; l'œil vif, les mous- taches noire,s le cou, la poitrine et les flancs d'une belle cou- leur vineuse, le croupion olivâtre, la queue fourchue, et aine tache blanche sur chaque aile. « C'est un pinson d'Ardennç », dit mon grand-père. Je m'en étais déjà aperçu, car l'ayant pris par les ailes pour le dégager, il m'avait d'un coup de bec pincé jusqu'au sang. Mon grand-père fit la remarque que ses pattes n'avaient pas été brisées; l'une d'elles était seulement légèrement éraflée. Quanta moi, le voyant si alerte et si mignon de forme et de couleur, l'idée me vint de le mettre en cage et de l'apprivoiser. Je suppliai qu'on me permît de l'emporter, et j'insistai si bien que j'obtins sa grâce.