Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/205

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Ne soyez donc point comme la plante et comme l'arbre qui sont seuls, mais unissez-vous les uns aux autres, et appuyez- vous et abritez-vous mutuellement. Tant que vous serez désunis, et que chacun ne songera qu'à soi, vous n'avez rien u espérer que souffrance, et malheur, et oppression. Qu'y-a -t -il de plus faible que le passereau, et de plus désarmé que l'hirondelle? Cependant, quand paraît l'oiseau de proie, les hirondelles et les passereaux parviennent à le chausser en se rassemblant autour de lui, et le poursuivant tous ensemble. Prenez exemple sur le passereau et sur l'hirondelle. Celui qui se sépare de ses frères, la crainte le suit quand il marche, s'assied près de lui quand il repose, et ne le quitte pas même durant son sommeil. Dpnc, si l'on vous demande Combien êtes-vous? Répondez Nous sommes un, car nos frères, c'est nous, et nous, c'est nos frères. Un homme voyageait dans la montagne, et il arriva en un lieu où un gros rocher, ayant roulé sur le chemin, le remplissait tout entier, et hors du chemin il n'y avait point d'autre issue, ni à gauche, ni à droite, Or cet homme, voyant qu'il ne pouvait continuer son voyage a cause du rocher, essaya de le mouvoir pour se faire un pas- sage, et il se fatigua beaucoup à ce travail, et tous ses efforts furent vains. Ce que voyant, il s'assit plein de tristesse et dit « Que sera-ce de moi lorsque la nuit viendra et me surprendra dans cette solitude sans nourriture, sans abri, sans aucune défense, à l'heure oit les bêtes féroces sortent pour chercher leur proie ? » Et comme il était absorbé dans cette pensée, un autre voya- geur survint, et celui-ci, ayant fait ce qu'avait fait le premier, et s'étant trouvé aussi impuissant à remuer le rocher, s'assit en silence et baissa la tête. Et après celui-ci, il en vint plusieurs autres, et aucun ne put mouvoir le rocher, et leur crainte à tous était grande. Enfin l'un d'eux dit aux autres «  Mes frères, ce qu'aucun de nous n'a pu faire seul, qui sait si nous ne le ferons pas tous ensemble ? Et ils se levèrent, et tous ensemble ils poussèrent le rocher, et le rocher céda, et ils poursuivirent leur route en paix. Le voyageur, c'est l'homme le voyage, c'est la vie le rocher, ce sont les misères qu'il rencontre à chaque pas sur sa route. Aucun homme ne saurait soulever seul ce rocher mais Dieu en. a mesuré le poids de manière qu'il n'arrête jamais ceux qui voyagent ensemble. LAMENNAIS, l'aroles d'un croyant.