Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/223

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

en fusion. Elles sont les poumons monstrueux des cornues colossales que nous allons voir. Elles respirent, rien de plus elles font vivre et digérer les monstres. Et voici les cornues elles sont deux, aux deux extrémités d'une autre galerie, grosses comme des tours, ventrues, rugis- santes et crachant un tel jet de flamme qu'à cent mètres les yeux soinf aveuglés, la peau brûlée, et qu'on halète comme dans une étuve. On dirait un volcan furieux. Le feu qui sort de la bouche est blanc, insoutenable à la vue, et projeté avec tant de force et de bruit que rien n'en peut donner l'idée. Là-dedans l'acier bout, l'acier Bessemer dont on fait les rails. Un homme fort, beau, jeune, grave, coiffé d'un grand feutre noir, regarde attentivement l'effroyable souffle. Il est assis devant une roue pareille au gouvernail d'un navire, et parfois il la fait tourner à la façon des pilotes. Aussitôt la colère de la cornue augmente elle crache un ouragan dé tlamme c'est que le chef fondeur vient d'augmenter encore le monstrueux courant d'air qui la traverse. Et toujours pareil à un capitaine, l'homme, tous mo- ments, porte à ses yeux une jumelle pour considérer la cou- leur du feu. JI fait un geste un wagonnet s'avance et verse d'autres métaux dans le brasier rugissant. Le fondeur en- core consulte les nuances des flammes furieuses, cherchant des indications, et soudain, tournant une autre roue, toute petite, il fait basculer la formidable cuve. Elle se retourne lentement, crachant jusqu'au toit de la galerie un terrifiant jet d'étincelles; et elle verse délicatement, comme un éléphant qui ferait des grâces, quelques gouttes d'un liquide flamboyant dans un vase de fonte qu'on lui tend, puis elle se redresse en rugi ssant. Un homme emporte ce feu sorti d'elle. Ce n'est plus mainte- nant qu'un lingot rouge qu'on dépose sous un marteau mû par la vapeur. Le marteau frappe, écrase, rend mince comme une feuille le métal ardent qu'on refroidit aussitôt dans l'eau. Une pince alors le saisit, le brise; et le contremaître examine le grain avant de donner l'ordre « Coulez 1 » La cornue aussitôt se renverse de nouveau, et, comme un valet qui emplirait des verres autour d'une table, elle verse le flot flamboyant d'acier qu'elle porte en ses flancs dans une série de récipients déposés en rond autour d'elle. Elle semble se déplacer d'une façon naturelle, toute simple, comme si une âme l'animait. Car il suffit, pour remuer ces engins fantastiques, pour leur faire accomplir leur œuvre, les faire alîèr, venir, tomber, se redresser, tourner, pivoter, il suffit de toucher à des leviers gros comme des cannes, d'appuyer sur des boutons pareils à ceux des sonnettes électriques. Une force, un