Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/229

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

femme, épouse de ce bonhomme, pour essayer de donner encore un peu d'apparence à la barque défraîchie, et de ne pas trop rebuter les clients. Surtout je croisai le regard du vieux bate- lier, un regard chargé de reproche contenu, de résignation et de détresse. Alors une pitié désolée me serra le cœur, ma journée en fut assombrie. Je me promis de revenir le lendemain, de choisir celui-là entre tous, de le complimenter sur le bon goût de ses modestes embellissements, même de le reprendre chaque fois que je passerais. Mais, ni le lendemain, ni les jours suivants, je ne pus le retrouver. Et, c'est peut-être bien puéril,- de toutes les mauvaises actions de ma vie, aucune ne m'a' laissé plus de remords que l'affront fai,t à ce pauvre vieux, à ses petites housses d'indienne serties d'humbles galons rouges et si labo- rieusement arrangées. Piekre Loti, Le Château de la Belle au bois doranant (Calmann-Lévy, £dit.) .' La Bonne de Chateaubriand Chateaubrianda coaaserué un souvenir de profonde reconaaccissance et une uieillé bonne qui lui a donné dans sa première enfance les soins les plus dévoués. JE M'ATTACHAI À LA femme qui prit soin de moi, excellente créature appelée la Villeneuve, dont j'écris le nom avec un mouvement de reconnaissance et les larmes aux yeux. La Ville- neuve était une espèce de surintendante de la maison, me por- tant dans ses bras, me donnant, à la dérobée, tout ce qu'elle pouvait trouver, essuyant mes pleurs, m'embrassant, me jetant dans un coin, me reprenant et marmottant toujours « C'est celui-là qui ne sera pas fier! qui a bon cœur! qui ne rebute point les pauvres gens Tien, petit garçon » et elle me bour- rait de vin et de sucre. Chateaubriand, revenant plus tard à Saint-Malo, apprend la mort de sa vieille bonne. La Villeneuve venait de mourir. En allant la pleurer au bord du lit vide et pauvre où elle expira, j'aperçus le petit chariot d'osier dans lequel j'avais appris à me tenir debout sur ce triste. globe. Je me représentais ma vieille bonne, attachant du fond de sa couche ses regards affaiblis sur cette corbeille uoulante ce premier moment de ma vie en face du dernier mouvement