Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/75

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La Reine du désert LoRS'DE l'expédition entreprise dans la Haute-Egypte par le général Desaix (1), un soldat provençal étant tombé au pouvoir des Maugrabins(2), fut emmenépar ces Arabes dans les déserts situés au delà des cataractes du Nil. Afin de mettre entre eux et J'armée française un espace suffisant pour leur tranquillité, les Maugrabins firent une marche forcée, et ne s'arrêtèrent qu'à la nuit. Ils campèrent autour d'un puits masqué par des palmiers, auprès desquels ils avaient précédemment enterré quelques provisions. Ne supposant pas que l'idée de fuir pût venir à leur prisonnier, ils se contentèrent de lui attacher les mains et s'endormirent tous, après avoir mangé quelques dattes et donné de l'orge à leurs chevaux. Quand le hardi Provençal vit ses ennemis hors d'état de le surveiller, il se servit de ses dents pour s'emparer d'un cime- terre (3), puis, s'aidant de ses genoux pour en fixer la lame, il trancha les cordes qui lui ôtaient l'usage de ses mains, et se trouva libre. Aussitôt, il se saisit d'une carabine et d'un poi- gnard, se précautionna d'une provision de dattes sèches, d'un petit sac d'orge, de poudre et de balles, ceignit un cimeterre, monta sur un cheval, et piqua dans la direction où il supposa que devait être l'armée française. Impatient de revoir un bivouac, il pressa tellement le coursier, déjà fatigué, que le pauvre animal expira, les flancs déchirés, laissant le Français au milieu du désert. Après avoir marché quelque temps dans le sable avec tout le courage d'un forçat qui s'évade, le soldat fut obligé de s'arrêter, le jour finissait. Malgré la beauté du ciel pendant les nuits en Orient, il ne se sentit pas la force de continuer son chemin. Il avait heureusement pu gagner une éminence sur le haut de laquelle s'élançaient quelques palmiers, dont les feuillages, aperçus depuis longtemps, avaient réveillé dans son cœur les plus douces espérances. Sa lassitude était si grande qu'il se coucha sur une pierre de granit, capricieusementtaillée en lit de camp, et s'y endormit sans prendre aucune précaution pour sa défense pendant son sommeil. Il avait fait le sacrifice de sa vie. Sa dernière pensée fut même un regret. Il se repentait déjà d'avoir quitté les Maugrabins, dont la vie errante commençait l. Desaix célèbre général de la Révolution. Il suivit Bonaparte en Orient et con- quit la Haute-Egypte. Juste et généreux,il reçut des Égyptiensle surnom do Sultan juile (1708-iSoo). 2. Maugrabimiou Mograbins habitants du Maghreb (le Couchant), nom que les Arabes donnent à la région septentrionale de l'Afrique. 3. Cimeterte largo sabre recourbé, quo portent les Orientaux.