Page:Weiss - À propos de théâtre, 1893.djvu/252

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prière d’Esther et de sa belle exposition de la foi devant Assuérus. Les Additions grecques se soudent au livre hébraïque par la déclaration formelle : « C’est Dieu qui a fait ces choses. » Dans le Livre, le nom de Dieu n’est pas même prononcé ; j’y ai cherché verset par verset quelque membre de phrase au moins qui put être pris pour une allusion indirecte à la mission divine d’Esther, pour un embryon, un éclair de pensée religieuse ; je ne l’ai pas trouvé. Le Juif s’y suffit à lui-même, sans Jéhovah, par la seule idée de sa race et des ressources de son génie. Comme le livre de Ruth est l’expression poétique et profonde de l’esprit de famille du Juif, de ses vertus domestiques, de sa bienfaisance patriarcale, comme le livre de Néhémie atteste sa fidélité et son obstination touchante à son Dieu, le Livre d’Esther réfléchit le judaïsme en soi et à l’état pur. Vous pouvez ôter de la Bible, livre sacré et inspiré, le Livre d’Esther, on ne s’apercevra presque pas d’une lacune ; au contraire de la Bible, livre d’histoire, expression d’un caractère de peuple, le Livre d’Esther fait partie intégrante et nécessaire ; supprimez même le reste de la Bible et laissez subsister seulement le Livre d’Esther, Israël, Israël de l’histoire profane, apparaîtrait encore complet avec ses traits invincibles, avec son fier sentiment de soi-même, son indépendance et son républicanisme réfractaires,